Femwashing et féminisme de classe

Pourtant, c’est simple.

Vous connaissez le greenwashing ? Anaëlle de La Révolution des tortues en parle très bien ici.
Pour vous la faire bref, c’est vous prendre pour des cons. Mais en vert.

C’est la même chose pour “femwashing” : utiliser le féminisme à des fins commerciales.

J’adore ce T-shirt. Acheté en 2017, dans lequel j’ai lu Goliarda Sapienza encore et encore. D’ailleurs, je le porte chaque été depuis son achat.

Pourtant, après avoir digérer un certain nombre d’informations lors de la Fashion Revolution, je n’ai pu que me rendre compte à quel point les mots de Mona Chollet sonnent vrais. Et amer.

Cette confusion s’explique parce qu’est devenu le féminisme aujourd’hui: non plus, sauf pour une petite minorité, un engagement militant et collectif, mais une démarche de réflexion individuelle, un effort de recul critique et de sensibilisation de l’entourage. Et encore au mieux. Comme le relève l’universitaire britannique Nina Power dans son livre La Femme unidimenssionnelle, ” le faîte de la prétendue émancipation des femmes coïncide parfaitement avec le consumérisme.” Elle montre à quel point le mot “féminisme” a été vidé de son sens, et la facilité avec laquelle il peut désormais s’assimiler à une sorte de développement personnel.

Beauté Fatale, Mona Chollet

C’est bien beau d’afficher ce mot ” Féministe” sur mon t-shirt mais qu’est-ce que ça veut dire?

J’achète pour inscrire mon féminisme aux yeux de tous : ok. Si le produit est vendu à grande échelle avec l’inscription “Every body should be feminist” c’est qu’il a été validée par la société. On a retiré la colère pour ne garder que l’enveloppe, le mot. Qu’est-ce qu’un mouvement contestataire validé par la société contre laquelle il lutte?

“Libérez-vous en vous soumettant davantage au capitalisme”

Car oui, ce t-shirt est issu de la fast fashion, il est issu de l’horreur humaine du capitalisme. Le “Fashion Transparency index 2020” réalisé par Fash Revolution indique, comme la traduit Lucie de jedeviensecolo sur Instagram

Au Lesotho, une enquête du Worker Rights Consortium en 2019 a révélé que dans trois usines appartenant au même fournisseur, les supérieurs forçaient régulièrement leurs couturières à avoir des rapports sexuels pour obtenir une promotion ou pour conserver son emploi.

Derrière la fabrication de ces t-shirts, ce sont les droits des femmes qui sont bafoués. C’est leur dignité. C’est tout le concept d’égalité qui n’est pas pensé.

J’achète le féminisme à un prix bradé fait par des femmes exploitées, sous payées et violées. Je suis le système, je cautionne l’exploitation humaine, je cautionne l’exploitation des femmes. Voilà le message.

Après cette prise de conscience, j’ai encore vu partout le produit marketing ” girl power” qui rend “cool le féminisme” en nous faisant oublier ce que cela signifie. Nous faire acheter l’idée pour nous priver davantage de cerveau.
S’arrêter à “j’aime l’idée du féminisme” sans s’engager, sans colère. A l’heure où l’on questionne l’IVG, à l’heure où les menstruations sont encore un tabou, à l’heure où les Etats-Unis réfléchissent à une réforme permettant aux employeurs de ne plus prendre en charge mes mutuelles qui remboursent les contraceptions.

Parce que c’est cela, on nous fait miroiter que c’est “ok, on a compris“. On le voit partout, on l’écrit partout mais c’est seulement pour acheter notre silence. On reste outré lorsqu’on se lève et on se casse.

Quelque part, c’est du féminisme blanc. Je peux avorter. Je peux m’habiller comme je veux (au risque d’être violée). Je peux travailler. J’ai des droits, on travaille à l’égalité. Il faut certes une égalité de salaire et changer quelques mentalité mais ça va. C’est un féminisme qui s’appuie sur la position des dominants. Un féminisme qui ne considère pas une partie de l’humanité comme humanité. Solidaire avec les privilèges blancs, il est le féminisme qui ferme les yeux sur les droits des femmes ailleurs. D’ailleurs, il n’y a pas de droits, pas d’égalité et cela sert à se sentir chanceuse.

L’intersectionnalité, c’est la reconnaissance de l’imbrication des questions de genre, de race et de classe.

Comme on parle textile, on pourrait parler des couturières. Celles qu’on exploitent encore aujourd’hui pour fabriquer nos masques dans des conditions ignobles pour pallier le service public. Question de classe.

Le féminisme c’est aussi une question d’écologie.

Est-ce que je vais les jeter?

Non, les personnes sous-payées pour faire ces t-shirts ne méritent pas que leur travail soit balancé pour manquement à un idéal. Si je veux me battre pour que leur travail soit reconnu et mieux payer, je ne dois pas consommer sans conscience.

Non, parce que le gaspillage textile est une catastrophe écologique. En Europe, 4 millions de déchets textiles seraient jetés chaque année.

Ce n’est pas CE système que je souhaite cautionner. S’il y a une chose à changer, c’est le mode de consommation mais surtout veiller à rester sur mes gardes aussi.

Être féministe, ce n’est pas une étiquette à coller. C’est une lutte de chaque jour pour déconstruire le modèle, les injonctions, les croyances. C’est voir plus loin que la libération de son nombril.

La femme n’aura jamais accès à l’égalité si elle lutte pour ses fins propres. Il faut lutter pour toutes. C’est seulement si LES femmes dans leurs différences et leurs ressemblances accèdent à l’égalité qu’une femme y accédera.