Une autre école est possible ! Yuna Visentin

Il s’agit d’un essai dans lequel l’autrice, Yuna Visentin, propose une critique constructive de “l’école” en tant qu’institution normative reproduisant et perpétuant les inégalités et les oppressions de la société. Elle y mêle ainsi ses recherches approfondies mais aussi son vécu d’élève, de normalienne agrégée de Lettres, de professeur et de mère.

Ainsi, elle démontre comment “l’universalisme” véhiculé est synonyme d’invisibilisation des discriminations et est un moyen pour perpétuer l’ordre social. La thèse de Yuna est que l’école comme institution est loin d’être émancipatrice, “l’école” paralyse et immobilise les élèves. L’autrice souligne cependant que des initiatives collectives et individuelles existent pour lutter contre cette paralysie des élèves.

J’ai beaucoup de mal à synthétiser mes idées autour de cet essai tant je l’ai trouvé riche et éclairant sur plusieurs points. Notamment sur les notions de sexisme, de racisme et classisme et la façon dont elle s’imbrique avec la vision d’une institution neutre qui ne l’est pas du tout lorsqu’on reprend son histoire. Je reprends quelques points qui ont eu un écho particulier pour moi :

  • Le rapport à la langue

Yuna y revient à plusieurs reprises mais un passage me semble très bien refléter une réalité de l’enseignement du français

“[…] ce qui est compliqué pour les élèves, ce n’est pas le projet d’écriture inclusive, c’est le sentiment d’étrangeté qu’iels sont nombreux.ses à éprouver face à l’enseignement d’une langue devenue figée, rigide et qui n’inclue pas une grande partie d’elleux.”

[…]

“Se retrouver, à 14 ans, face à un texte pourtant écrit dans sa langue maternelle ou quotidienne mais qu’on ne comprend pas, c’est extrêmement insécurisant. Ca entame la confiance en soi, ça nous coupe du langage comme outil de pouvoir collectif.”

  • Le système de notation : chacun.e à sa place.

Le rapport aux notes et la manie de tout noter. Ici, en tant que mère, je suis très angoissée par les notations données à mon enfant. Pas parce que j’apporte de la valeur à ce qu’elle représente mais parce que j’ai peur de ce qu’elle signifie à mon enfant. Longtemps, j’ai eu des notes moyennes. Des notes de discrète. A toujours entendre que j’étais “moyenne”, j’ai toujours gardé cette idée. Ce n’est que beaucoup plus tard que je me suis aperçue que j’avais eu des félicitations ou d’excellentes notes. Pourtant, ce n’est jamais ce que j’ai retenu de ma notation scolaire.

“Quelle que soit sa forme, la note est ce moment crucial dans leur quotidien [aux élèves] où quelqu’un d’extérieur au cercle familial et intime définit la place qu’iels occupent dans le monde social par rapport aux autres.”

La note assigne, elle attribue une étiquette. On ne fait pas ce que l’on veut de cette étiquette, elle change le regard que le professeur porte sur l’élève, elle a une incidence sur son estime de soi, sur ses rapports familiaux…bref, une note n’est jamais qu’une note. Elle attribue une place dans le groupe, elle est individuelle et individualisante. C’est le système de compétition et ce qu’il a de plus néfaste dans la construction des élèves à des âges où leur vulnérabilité est omniprésente.

  • La méritocratie

Une partie de l’essai est consacré à la méritocratie que l’autrice met en lien avec l’expression ” quand on veut, on peut. ” et la façon dont cela est problématique dans notre société car cela sous entend que si on n’y arrive pas, c’est qu’on n’a pas vraiment voulu. Cela veut dire que nous avons portons seul la responsabilité de l’échec, cela veut dire : tu pouvais, “on” a mis des outils à ta disposition mais tu n’as pas voulu. Cela déresponsabilise le système et maintient un rapport de domination.

Dans ce cadre, on voit bien à quel point le critère du mérite sert de cache-misère. Parce que c’est un terme flou, jamais défini explicitement, et privatisé par la classe dominante, “le mérite est un mode de justification des inégalités très commode”, et s’adaptant très bien à une mise en concurrence des individus et des jeunes de la logique capitaliste et néolibérale.
Autrement dit, de l’école explicitement inégalitaire de Jules Ferry, en passant par le mythe de la méritocratie républicaine, jusqu’à l’école ouverte sur l’entreprise néolibérale, l’institution scolaire a plutôt servi à légitimer les inégalités qu’à les combattre.”

  • L’action collective

Au bout de ce parcours, une question demeure : et maintenant? Si d’autres manières de faire école sont possibles, comment s’organiser? Doit-on abandonner les bancs de l’école telle qu’on la connaît pour tout recommencer ? De quoi pouvons-nous nous inspirer ? Faut-il continuer à préparer les jeunes à un monde injuste, ou risquer de les laisser démuni.e.s en ne leur apprenant pas à s’adapter aux inégalités auxquelles iels seront confronté.e.s ? Quel rapport entretenir avec les pouvoirs en place, et notamment l’Etat ?
Il me serait impossible de répondre de manière définitive à ces questions : je n’ai ni les connaissances, ni l’expérience, et encore moins la légitimité pour le faire. Et puis surtout, ces solutions c’est ensemble qu’on doit les penser, en collectif, afin de poser les jalons d’une autre école, antioppressive, émancipatrice et joyeuse”.

La conclusion de l’essai se termine par une note pleine d’espoir, des pistes de réflexion sur différentes pédagogies, sur ce qui a existe ou ce qui existe. Cette conclusion est porteuse, elle donne envie de croire plus fort encore et de s’investir dans ce vaste projet d’une école émancipatrice et joyeuse.